Rencontre avec Roger Ballen
Pour son édition 2018, AKAA – Also Known as Africa est heureux d’accueillir pour la première fois sur une foire en Europe, l’exposition Unleashed, une collaboration entre les artistes Roger Ballen et Hans Lemmen, présentée par ARTCO Gallery, stand C6.
Nous avons rencontré Roger Ballen en mai 2018 à l’occasion de l’inauguration de son exposition personnelle à la galerie ARTCO à Aix-la-Chapelle.
Interview réalisée parMathilde Lepert & Brigitte Bollé.
Vous avez souvent collaboré avec des artistes comme Asger Carlsen, Die Antwoord ou plus récemment Hans Lemmen.
- Que recherchez-vous à travers ces collaborations et quelles influences ont-elles eu dans votre développement artistique ?
Il est toujours difficile de quantifier l’influence de ces collaborations sur mon esthétique, mais je ne pourrais nier leur impact. Le travail que j’ai réalisé avec Asger Carlsen et Hans Lemmen m’a permis d’intégrer l’iconographie dans mes photographies. Ma relation avec Die Antwoord a été particulièrement importante dans le sens où cela m’a permis d’exposer mes images à un public qui aurait pu ne jamais tomber sur mon travail. De plus, après avoir réalisé des vidéos avec le groupe, j’ai pris conscience de l’impact que la création artistique peut avoir à travers ce médium particulier. Depuis le clip viral « I fink u freeky » réalisé avec Die Antwoord, j’ai pu produire un certain nombre de vidéos importantes.
- Comment vous êtes-vous rencontré avec Hans Lemmen d’un point de vue artistique ?
J’ai rencontré Hans pendant mon show au Het Domain à Sittard aux Pays-Bas. Nous avons immédiatement constaté que nous avions des intérêts communs. Nous nous intéressions tous deux à l’histoire de la terre, Hans à l’archéologie et moi à la géologie. Ses représentations des animaux m’ont enthousiasmé, c’était un vrai travail d’orfèvre. Après quelques années de discussion sur la façon dont nous pourrions coopérer, nous avons décidé que je devais lui envoyer des photographies qu’il pourrait retravailler en les coupant, en collant ou redessinant dessus ou en dehors. En parallèle, Hans m’a envoyé des découpages originaux que j’ai mélangés avec mes photos. Une fois terminé, j’ai photographié l’image et je l’ai imprimée comme je l’aurais fait avec n’importe quelle autre de mes tirages.
Vous avez étudié la géologie et la psychologie.
Est-ce que votre intérêt pour la psyché vient de là ?
Mon intérêt pour la psyché remonte à ma période universitaire de 1968 à 1972. J’ai été très inspiré par des travaux en psychologie, en philosophie, en littérature, de théâtre ou de poésie qui tentaient d’approfondir l’essence de la psyché. J’étais particulièrement intéressé par la psychologie animale et à sa relation avec l’esprit humain.
- Pensez-vous que l’esprit humain est constitué de plusieurs strates, à explorer et découvrir, comme en géologie ?
La conscience humaine, comme les strates de la terre, a changé au cours de ces milliards d’années d’évolution. Quand on regarde une roche ancienne, la seule chose que l’on peut deviner c’est l’environnement qui l’a créé. L’esprit humain est semblable car il est presque impossible de comprendre comment et pourquoi nous avons évolué comme nous l’avons fait. En fin de compte, le psychisme de tous les organismes vivants reste un mystère, une énigme.
Les êtres humains représentés dans vos œuvres paraissent tourmentés, souffrants….
- Pourriez-vous expliquer pourquoi ?
Je souhaite que les être humains représentés dans mes images soient des métaphores de la condition humaine. Je pense que la raison pour laquelle tant de gens se souviennent de mes photos est le fait qu’ils s’identifient inconsciemment à mes sujets. En d’autres termes, certains aspects de leur être se trouvent dans mes images.
- Est-ce que ces représentations sont une forme de thérapie pour vous? Une expression de vos sentiments intérieurs ?
Mes images sont de nature psychologique et, par conséquent, il y a un lien direct entre ce que je suis et l’œuvre elle-même.
La photographie est votre médium de prédilection.
- Quand et comment votre intérêt pour la photographie s’est-il manifesté ?
Ma mère a travaillé pour Magnum dans les années 1960 et a ensuite commencé l’une des premières galeries de photographie aux États-Unis. Elle a été la première personne à promouvoir André Kertesz et s’est liée d’amitié avec plusieurs grands photographes tels que Cartier Bresson, Elliot Erwitt et Bruce Davidson. Elle m’a transmis sa passion pour la photographie. Lorsque j’ai obtenu un appareil photo Nikon après avoir obtenu mon diplôme d’études secondaires, j’ai immédiatement pris des photos qui ont encore aujourd’hui un sens pour moi et pour les autres.
- Qu’est-ce que le dessin apporte à votre travail photographique, comme dans votre série « Unleashed » présentée à AKAA cette année ?
Le processus de lier la photographie au dessin élargit mon esthétique, cela crée une présence qui ne pourrait pas forcément être réalisée par ces deux médias artistiques utilisés pour eux seuls séparément. Il est à noter qu’à partir de 2003, le dessin a commencé à devenir un aspect essentiel de mon imagerie et qu’il l’imprègne toujours depuis.
Les êtres humains, les animaux et des figures hybrides homme-animal sont omniprésents dans votre travail et nous troublent. On trouve également cette association homme-animal de manière récurrente dans l’œuvre de Hans Lemmen.
- Que représentent ces animaux pour vous ? Incarnent-ils des cauchemars, des monstres, des pulsions bestiales humaines ?
Ce n’est certainement pas le cas. Les animaux dans mon travail représentent la pureté, la piété et la place de la nature qui a été perdue dans la société contemporaine. L’être humain a créé le cauchemar pour les animaux et non l’inverse.
Votre œuvre est en rupture avec les conventions artistiques et semble bouleverser une forme « d’ordre civilisationnel ».
- Est-ce ce une quête de liberté pour vous ?
La liberté est un mot bien trop utilisé dans nos sociétés contemporaines. Nous ne sommes jamais libérés de notre condition d’êtres humains et de notre biologie. Le mieux que l’on puisse espérer est de reconnaître ses limites et d’utiliser le peu de temps que nous avons sur terre pour être une force positive, quelles que soient les connotations de ce terme.